L’EGLISE DE VITOTEL

 
Par

 
Louis REGNIER

Correspondant du Ministère de l’Instruction Publique.

  

La commune de Vitot a vu son importance augmentée en 1844 par l’annexion d’une commune voisine, Vitotel, qui lui avait déjà été réunie pour le culte en 1801, et dont l’église existe encore. L’église principale, celle du chef-lieu, la seule pourvue d’un curé titulaire et régulièrement desservie, est en bon état. L’autre a été forcément négligée, et cependant elle est de beaucoup la plus intéressante. Les habitants de Vitotel, dont le nombre diminue chaque année, assistent impuissants à la lente dégradation d’un édifice curieux, seul témoignage apparent du titre paroissial qu’avait jadis le hameau.

Bien que la construction proprement dite soit encore, sauf peut être sur un point ou deux, dans un état de bonne conservation, -la toiture et le clocher auraient seuls besoin d’urgentes et fortes réparations, sinon d’une réfection partielle, - bien que la disparition de cette église par la seule action du temps ne soit pas à craindre d’ici de longues années, il nous a paru nécessaire de consacrer à l’édifice une courte étude. On verra combien il mérite d’attirer l’attention des pouvoirs publics et de provoquer la sollicitude de la Commission des monuments historiques.

D’origine évidemment postérieure à celle de Vitot, et sans doute simple démembrement de cette paroisse, Vitotel avait son église particulière dès le XIIe siècle, et les grosses dîmes de son territoire appartenaient déjà au chapitre de la cathédrale d’Evreux, qui les conserva jusqu’à la révolution, avec le droit de présenter à la cure. On peut conjecturer que le chapitre contribua largement à la reconstruction de l’église actuelle dans le courant du XIIIe siècle. Le vocable de saint-Michel ne suffit pas à renseigner sur la date de fondation de la paroisse.

 

Fort simple de plan et parfaitement régulière, l’église de Vitotel se compose d’un vaisseau rectangulaire liturgiquement orienté de l’est à l’ouest et qui mesure dans ½uvre 20,70 m de longueur, dont 13,15 m pour la nef et 7,55 m pour le ch½ur. La largeur, de 5,37 m à l’extrémité occidentale, va se réduisant peu à peu vers le chevet, où elle n’est plus que de 4,90 m. Il y a là sans nul doute le résultat d’une erreur de plantation. Les murs ont partout la même épaisseur, - 0,80 m,- bien que le ch½ur ait été seul destiné primitivement à recevoir une voûte en pierre : les contreforts qui épaulent cette partie de l’église sont, en effet, plus saillants et plus épais que ceux de la nef. Celle-ci, néanmoins, eut aussi sa voûte en pierre, qui existe encore, mais l’établissement de cette voûte fut certainement postérieur à la construction des murailles : les dispositions que nous allons décrire permettront de s’en apercevoir. La hauteur des voûtes n’est pas considérable : elle ne dépasse pas 5,50 m dans le nef, et elle semble moindre encore dans le ch½ur.

On pénètre dans l’édifice par deux portes, ouvertes l’une et l’autre sur le flanc sud, vers le soleil : la porte principale est dans la première travée occidentale de la nef, une porte secondaire dans la première travée du ch½ur. Une autre porte existait dans le mur pignon de l’ouest ; réduite de largeur, puis supprimée, elle communiquait jadis avec l’enclos du presbytère. Les deux portes encore existantes sont en tiers-points et s’ouvrent intérieurement sous un arc en segment de cercle à court rayon. Elles ne présentent de ce côté aucune ornementation.

Il en est de même des fenêtres, lancettes fortement ébrasées et dont l’ouverture n’excède pas 0,39 m dans le ch½ur. Nous parlons ici des fenêtres latérales, régulièrement réparties à raison d’une par travée dans les murs du ch½ur, mais disposées avec moins de régularité dans la nef : au sud, on compte une fenêtre dans chacune des deux travées orientales, la première travée étant, comme nous venons de le voir, occupée par la porte ; au nord, il n’y a qu’une fenêtre, dans la travée orientale, les deux autres travées de ce mur nord n’ayant jamais eu de percements.

Dans le mur pignon de l’ouest s’ouvre une fenêtre plus importante, qui mesure 0,95 m de largeur à la partie vitrée. A l’autre extrémité de l’église, le chevet présente un groupe de trois lancettes, toutes trois à peu près de la même hauteur, mais de largeurs très inégales : la baie centrale mesure 0,42 m, chacune des deux baies latérales 0,21 m seulement.

Toutes ces fenêtres sont demeurées intactes, à l’exception des deux fenêtres orientales de la nef, l’une au nord et l’autre au sud, dont on a augmenté la largeur à la partie vitrée en retaillant les pieds-droits, l’arc et le glacis. Ce travail regrettable ne paraît pas fort ancien ; peut-être fut-il exécuté quand on rendit l’église au culte en 1829.

Nous avons dit que le ch½ur fut d’abord la seule partie voûtée de l’église. La voûte, construite en blocage, comme celles de l’époque romane, se fait remarquer par l’importance des doubleaux et de leurs supports et par la forme surbaissée des arcs à peine brisés que décrivent ces doubleaux. Il y a deux travées barlongues et deux doubleaux, dont l’un joue le rôle d’arc triomphal, sans présenter la moindre différence d’épaisseur avec celui qui sépare les deux travées. Ces arcs comprennent deux rangées de claveaux dont les angles sont abattus, ceux des claveaux intérieurs par un cavet bordé de deux filets, ceux des claveaux extérieurs plus simplement par un biseau. Le profil général des arcs se retrouve à peu près dans la section des supports, composés de deux pilastres adossés dont tous les angles sont abattus par un large biseau. Ce biseau se termine en haut et en bas par des congés qui se relient respectivement au tailloir et au socle, tous deux carrés. Les tailloirs présentent le profil en cavet bordé de deux filets qui fut en usage pour ces membres d’architecture dans les dernières années du règne de Philippe Auguste et pendant la première moitié du règne de Saint louis. Le constructeur de l’église de Vitotel usa de ce profil un peu partout, avec une prédilection marquée.

Les voûtes que nous décrivons sont portées par des ogives croisées qui reposent dans les angles, contre les pilastres, sur des culots biais, fuyants, dont le tailloir continue simplement celui du pilastre. Des culots semblables remplissent le même office aux deux angles du chevet. Les ogives, assez minces, sont très simples de profil : deux larges biseaux reliés par un méplat. La clef de voûte orientale est ornée d’une petite rosace de feuillages très sommairement indiquée et peut-être contemporaine de la construction ; mais le cercle à rayons courbes et gironnants qui décore la clef de la première voûte semble bien postérieur en date. Ajoutons que les lunettes latérales des voûtes, en tiers-points, ne possèdent pas de formerets.

Les maçons qui voûtèrent la nef montrèrent plus de hardiesse que ceux qui avaient construit le ch½ur. Ils engagèrent dans les murs, de chaque côté, deux colonnes assez minces (le diamètre de ces fûts n’excède pas 0,19 m) et leur firent porter des doubleaux et des ogives, les uns et les autres d’épaisseur uniforme et de profil identique ; ce profil est le même que celui des ogives du ch½ur. L’égalité des nervures n’a rien de surprenant au milieu ou dans la seconde moitié du XIIIe siècle, époque du voûtement de la nef ; elle doit néanmoins être remarquée, par opposition avec la prudence peut-être excessive dont témoignent les gros doubleaux du ch½ur. On constate du reste que dans tout le mur septentrional de l’église un déversement sensible, qui date, selon toute apparence, d’une époque très lointaine et qui ne semble pas compromettre réellement la solidité de l’édifice. La forme surbaissée des doubleaux a pu se trouver accentuée encore par l’affaissement résultant de cet écartement du mur nord. La voûte de la nef, il est intéressant de constater, est appareillée en petites pierres régulièrement taillées, et non pas faite de blocage comme celle du ch½ur.

Les colonnettes dont nous venons de parler, engagées d’un quart de leur circonférence, reposent sur des bases circulaires à socle polygonal. Le profil de ces bases, fort librement composé, comprend un petit glacis en biseau surmontant un gros tore légèrement aplati. Il n’y a pas de chapiteau mais un simple évasement surmonté d’un tailloir polygonal tantôt coupé en biseau, tantôt creusé d’un cavet comme ceux du ch½ur.

Dans les angles du mur occidental, la retombée des ogives a lieu sur deux petits culots, sorte de chapiteaux revêtus de crochets végétaux sommairement indiqués. Les hautes boiseries qui surmontent les petits autels, en avant de l’arc triomphal, empêchent de voir si, comme on peut le supposer, pareille disposition fut adoptée à cette extrémité de la nef. Il faut observer enfin, que dans les voûtes de la nef, les lunettes latérales, dépourvues de formerets comme dans le ch½ur, décrivent des arcs dont la brisure est peu accentuée, les travées étant moins barlongues par suite de la moindre importance des supports et des doubleaux. Les clefs présentent des rosaces de feuillages exécutées sans finesse, mais bien caractérisées et contemporaines de la construction.

Deux piscines de formes assez soignées existent dans le mur méridional, accompagnant respectivement l’autel majeur et l’un des autels secondaires voisins de l’arc triomphal. La première consiste en une niche encadrée d’un arc en trilobe aigu, de bonnes proportions, que dessinent un cavé bordé de deux filets. Deux petits bassins circulaires sont creusés côte à côte dans cette niche, à mi-hauteur de laquelle fait saillie une tablette servant de crédence. L’autre piscine, plus petite et plus simple, s’encadre d’un arc en tiers point dessiné par un biseau.

Ces accessoires liturgiques sont complétés par une armariole ménagée dans le mur du chevet, au-dessous de la fenêtre centrale, et dont la présence à cet endroit prouve que l’autel majeur était isolé dès l’origine comme il l’est aujourd’hui. Cette armariole, dont l’ouverture est en tiers-point, se trouve partagée par une tablette en deux compartiments superposés. Elle était fermée d’un vantail qui battait contre une large feuillure extérieure. On conservait là les vases sacrés et la réserve eucharistique. C’était, à proprement parler, un tabernacle.

A l’angle sud-ouest de la nef s’ouvre, sous un linteau échancré en segment de cercle, la porte qui donne accès dans l’escalier conduisant au-dessus des voûtes. C’est une vis étroite aux marches apparentes en dessous, suivant la méthode du XIIe siècle. Les voûtes de la nef n’ayant pas été prévue par le constructeur primitif, on peut se demander si la tourelle d’escalier est contemporaine des murailles voisines. L’examen des maçonneries extérieures ne révèle pas de reprise, mais on constate que l’appareil comporte des assises alternées de silex taillé et de pierre qui n’existent pas ailleurs, et, tout bien considéré, l’état de chose actuel peut parfaitement résulter d’une refaçon de l’angle tout entier exécuter avec soin.

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La vue photographique ci-dessus donne une bonne idée de l’aspect que présente l’église au dehors : murs en silex, soigneusement établis ; contreforts en pierre à deux glacis, celui du bas presque aussi important que celui du haut et doublant la résistance de l’épaulement ; lancettes largement ébrasées et sans décoration, lesquelles, un peu plus larges dans le ch½ur, y sont aussi plus courtes. Il faut remarquer l’importance plus grande donnée aux contreforts du ch½ur, destinés dès l’origine à contrebuter des voûtes de pierre, et le petit glacis qui, à mi-hauteur, fait retour sur les parois, en formant coupe-larmes. Ce coupe-larmes est identiques à ceux des glacis principaux : la surface inférieure de la pierre saillante est parallèle à la surface supérieure et non incurvée comme on le fera plus tard au XIVe siècle.

Abrité par un porche de charpente qui tombe en ruine, le portail a subi quelques dégradations. L’arc en tiers-point, sans tympan, se compose de deux rangées de claveaux décorées chacune d’un tore dégagé. Cette moulure est encorbellée sur des pieds-droits, mais il y a lieu de distinguer : le tore inférieur semble naître directement de la muraille, tandis que l’autre est réellement porté par un petit culot fuyant. Chacun des pieds-droits ne présente, en effet, ni moulures, ni colonnettes, mais simplement deux larges biseaux séparés par une retraite.

Biseaux et retraite se retrouvent à la petite porte, également en tiers-point, qui donne accès dans le ch½ur ; mais là, ils constituent à eux seuls tout l’encadrement de la baie, l’arc aussi bien que les pieds-droits, sans aucune imposte ou interruption quelconque.

Au sommet des murs, du côté nord comme du côté sud, on trouve encore la corniche du XIIIe siècle. Le profil en cavet avec deux filets ne permet pas d’en douter. Nous avons vu ce profil appliqué par le maître d’½uvre aux tailloirs, aux claveaux des doubleaux et à l’encadrement de la grande piscine.

Les rampants des deux pignons sont, malheureusement, moins bien conservés, et même à peu près détruits. La photographie le laisse deviner et montre aussi l’état fâcheux de la toiture et du clocher, dont la croix penche lamentablement. Ce clocher est peut être, dans la région, le seul qui ait conservé son revêtement d’essente, mode de couverture autrefois général en Normandie et moins coûteux que l’ardoise, car les éléments s’en trouvaient dans tous les bois d’alentour. Aujourd’hui encore, la solidité de l’essente méritait de la faire préférer à l’ardoise, mais c’est néanmoins le contraire qui se produit partout.

Il n’y a pas de remarques spéciales à faire sur le triplet du chevet, dépourvu de toute mouluration à l’extérieur comme à l’intérieur, ni sur l’ordonnance du mur nord, dont les contreforts répètent exactement ceux du midi. On peut rappeler cependant que les deux travées occidentales sont privées de toute baie.

Au mur-pignon de l’ouest, la large lancette que nous avons signalée à l’intérieur laisse apercevoir clairement que la voûte de la nef a été ajoutée après coup, car la construction de cette voûte a forcé de réduire, à la partie supérieure, la hauteur de la baie, dont l’arc primitif subsiste au-dessus. Dans le pignon, une baie plus petite sert à l’éclairage du comble. Dessinée par un biseau, elle ne compte que deux claveaux à son arc en tiers-point, et, vue du dedans, elle s’ouvre au fond d’un ébrasement et sous un plafond que soulagent deux corbelets. Une feuillure prouve qu’il y avait jadis un volet.

A l’angle sud-ouest fait saillie la tourelle d’escalier quadrangulaire, construite en pierre de taille à la partie inférieure, en assises alternées de pierre et de silex taillé pour le reste, et munie de petite baies d’éclairage rectangulaires, entourées d’un biseau. Il n’y a pas de corniche, mais seulement la saillie, formant larmier, d’un couronnement pyramidal en pierre dont la pointe manque. La date postérieure de cette tourelle semble probable, nous l’avons dit, mais les raccords avec les maçonneries voisines ont été habilement faits et ne trahissent pas la reprise. Seule, l’alternance des assises de pierre et de silex, indique une différence d’époque.

Dans le mur-pignon, près de cette tourelle, se voit l’encadrement biseauté d’une porte secondaire dont l’arc en tiers-points, un peu sur baissé, forme un angle avec chacun des deux pieds-droits. Cette porte a été d’abord réduite de largeur, puis bouchée. Il se pourrait qu’elle eût elle-même été faite ou remaniée lors de l’adjonction de la tourelle. On est tenté aussi de trouver le résultat d’une refaçon dans les deux contreforts qui épaulent l’angle nord-ouest. Seuls, en effet, de toute l’église, ils sont couronnés d’un petit fronton formant pignon. Mais cette refaçon, si elle eut lieu, ne saurait avoir été postérieure à la construction de la tourelle et de la voûte. Quoi qu’il en soit, c’est le seul point de l’édifice où la stabilité de la construction semble compromise ; mais encore nous a-t-on affirmé que les lézardes qui se voient aux deux murs en retour d’équerre ne se sont nullement développées depuis un demi-siècle. Peut-être faut-il accuser de cet accident quelque affaissement du sol survenu il y a longtemps déjà : les deux contreforts s’écartent, en effet, de la verticale, et, à l’intérieur, la voûte se détache des murailles.

 

Il n’y a que peu de choses à dire du mobilier. La seule pièce ancienne est la cuve baptismale, peut-être contemporaine de l’église. Les parois, au nombre de douze, en sont verticales et reposent sur un socle à six pans élargi par un glacis. L’autel majeur, en bois barbouillé couleur de marbre, n’est pas à beaucoup près aussi ancien, et son ornementation de style rocaille ne lui donne guère plus d’un siècle et demi de date. Derrière l’autel s’étend une petite sacristie fermée à droite et à gauche par deux portes jumelles.

Dans le clocher se balance une cloche de 1852, dont l’inscription est ainsi conçue :

 

SECTION DE VITOTEL LAN DE J C 1852 JAI ETE REFONDUE PAR SOUSCRIPTION & BENITE PAR M

LABBE JOUEN VICAIRE GENERAL DEVREUX EN PRESENCE DE M GUERIN CURE DE VITOT & NOMMEE

MARIE VICTOIRE PAR M ROMARIN (sic) ADAM & DAME MARIE VICTOIRE ADAM V RENOULT M DUMOULIN

Maire de VITOT m j r CHAMPION TRESORIER

Sur la panse : JULIEN CAPLAIN PERE & FILS FONDEURS A                 ET A ELBEUF

 

Cette cloche, qui mesure 0,72 m de diamètre, en remplace une autre dont l’existence avait été assez mouvementée. L’église de Vitotel possédait deux cloches avant la Révolution. Celle dont nous parlons, d’abord laissée suivant la règle générale établie par le décret du 23 juillet 1793, fut portée plus tard dans le clocher de Vitot, après la réunion des deux communes pour le spirituel. Cette mainmise ne fut nullement agréable aux habitants de Vitotel, qui en 1829, pour répondre à des menaces de vente et de démolition, décidèrent de restaurer leur église et de la rendre au culte. Une souscription et divers dons en nature permirent d’atteindre ce résultat ; puis, le conseil municipal réclama sa cloche. Malgré l’appui de Dupont (de l’Eure), alors député de Bernay, malgré la bienveillance du préfet Antoine Passy, les choses traînèrent en longueur. Le ministre Montalivet exigeait des justifications assez singulières. Las d’attendre, quelques hommes énergiques décidèrent d’aller eux même reprendre ce qu’il considéraient comme leur bien. Le 29 janvier 1831, à l’heure matinale de l’Angélus, la petite troupe pénétra, sans faire violence au sonneur, dans l’église de Vitot, à peine éclairée ; trois ou quatre individus, parmi les plus adroits, montèrent au clocher ; ils en descendirent la cloche, puis, entourés de leurs compagnons, se mirent en devoir de l’emporter. Cependant le bedeau avait donné l’alarme, et, au moment de franchir la grille du cimetière, les Vitotellois se heurtèrent à quelques Vitotais ; mais les conquérants se montrèrent si résolus à garder leur butin qu’on se résigna prudemment à leur laisser. Il restait, d’ailleurs, une autre cloche dans la tour. L’affaire se termina par une condamnation des coupables à une légère amende en police correctionnelle, et par une invitation de réintégrer la cloche adressée au maire, M. Adam, qui s’y refusa.

 

De la description qui précède, dégageons quelques remarques ou conclusions.

L’édifice étant dépourvu de toute sculpture décorative, c’est aux dispositions générales, à celles des fenêtres, des portes, de la voûte, et surtout à la moulure qu’il faut en demander la date. Un détail, entre autres, est très caractéristique à cet égard, et nous y avons déjà insisté : c’est ce cavet bordé de deux biseaux qui se voit, dans le ch½ur, aux tailloirs, aux doubleaux, à la piscine, et qui, par une rare exception, se retrouve à la corniche extérieure. Il y a une forte indication pour la période 1210-1240 environ, et cette indication se trouve pleinement confirmée par les autres particularités de l’édifice : plan carré des tailloirs, forme et distribution des fenêtres, mode de construction de la voûte du ch½ur.

Le plan, des plus simples, dénote une construction faite d’un seul jet. Assurément, ceux qui l’ont tracé n’ont rien conservé de l’édifice antérieur. A l’époque romane, le plan des églises rurales comporte toujours pour le ch½ur une réduction de largeur et de hauteur qui n’existe pas ici. L’absence de transept est commune avec un très grand nombre d’églises rurales du XIIIe siècle. Le plan rectangulaire se retrouve dans plusieurs églises qui paraissent avoir été bâties d’un seul jet entre les années 1200 et 1260 (Muzy, la Vieille-Lyre, Ecardenville-la-campagne, abbaye de Fontaine-Guérard, chapelle Saint-Marguerite, à Saint-Cyr-du-Vaudreuil), en imitation peut être du type adopté par les Hospitaliers et les Grandmontains. On peut rapprocher de ces édifices l’église d’Harcourt, qui en diffère uniquement par son abside arrondie, assez exceptionnelle à cette époque dans nos régions. D’autre part, les ch½urs des églises de Barc, de Bray, d’Iville, d’Hondouville, de Quatremare, de Surtauville, de Rouge-Perriers, de Pitres, de Romilly-sur-Andelle, de Fresne-l’Archevêque, de Saint-Pierre-d’Autils, de Sainte-Marguerite-en-Ouche, de Saint-Pierre-de-Corneilles, de Pacy-sur-Eure, et de bien d’autres églises encore, qui toutes appartiennent à la même époque, sont également rectangulaires, et beaucoup d’entre eux présentent au chevet, comme celui de Vitotel, un triplet de lancettes.

Comme à l’époque romane, on n’avait prévu de voûte qu’au-dessus du ch½ur. Ce système était, en effet, resté général dans la première moitié du XIIIe siècle (Barc, Iville, Quatremare, Surtauville, Pitres, Saint-Pierre-d’Autils, Fresne-l’Archevêque, etc.). Le mode de construction des voûtains, en blocage, doit être signalé aussi comme une survivance des âges précédents.

Les pilastres polygonaux du ch½ur peuvent avoir été imités des colonnes du même genre qui se voient à Pacy-sur-Eure, à Villiers-en-Désoeuvre, au Breuil-Benoît, à Saint-Pierre-de-Dreux, et qui sont le résultat certain d’une influence chartraine. L’absence d’un sculpteur parmi les ouvriers explique, d’ailleurs, l’adoption de ces dispositifs économiques. Il n’y a pas lieu, croyons-nous, d’en rapprocher les pilastres méplats qui portent les doubleaux de la nef, dans la cathédrale d’Evreux : outre qu’à Vitotel la date est notablement plus ancienne, l’étroitesse de la nef d’Evreux suffit à montrer qu’on a voulu ainsi dégager la vue des fenêtres supérieures.

On trouve donc à la fois dans l’église de Vitotel des caractères propres à l’architecture normande (mode de construction de la voûte du ch½ur, portes sans tympan, avec encadrement de biseaux) et des particularités qui dénotent une influence française (profil des tailloirs, plan des piliers du ch½ur). On y trouve aussi des dispositions communes aux deux écoles (plan général, forme et répartition des fenêtres), et l’on peut dire que l’édifice présente un compromis entre deux styles auxquels l’ancien diocèse d’Evreux fournit, pendant toute la durée du XIIe et du XIIIe siècle, un champ de pénétration réciproque.

 

 

 

 

Dans sa séance du 1er décembre 1912, la Société Libre d’Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du département de l’Eure, après avoir entendu le résumé de la notice qui précède, a émis le v½u que l’église de Vitotel soit classée parmi les monuments historiques. Elle a été classée le 4 décembre 1913

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